« En disant que l’iconographie du XIIIe siècle est encyclopédique, on n’entend pas seulement qu’elle est cyclique, qu’elle embrasse le tout, mais que, dans son orbe immense, dont Dieu est le centre, une force secrète enchaîne et fait graviter tous les aspects de la vie.
Cette conception est alors dans toute son ardeur poétique. On dirait qu’elle invente et qu’elle développe à mesure tout son univers. Cet accord profond avec la pensée religieuse ne doit pas nous amener à penser que l’iconographie des cathédrales est une construction de la théologie. Elle est théologique, la part des théologiens y est considérable, mais cet art excède largement toute mesure qui tendrait à le limiter à l’interprétation de la scolastique, de la liturgie, de la symbolique. Il est encore trop près de la découverte du monde, trop émerveillé. Le surnaturel est le principe même du naturel, mais la nature est. C’est l’erreur de l’école romantique, et sans doute celle de Huysmans, d’avoir donné un caractère hiéroglyphique à l’iconographie du XIIIe siècle. La cathédrale selon Guillaume Durand et Vincent de Beauvais est indiscutablement vraie, mais elle est aussi une force poétique par delà les systèmes. « L’homme y passe à travers des forêts de symboles », mais les symboles sont le jeune visage de la vie. C’est ce qu’a heureusement mis en lumière Emile Mâle. « Les sculpteurs du moyen âge ne cherchent pas à lire dans les jeunes fleurs du mois d’avril le mystère de la Chute et de la Rédemption. Aux premiers jours du printemps, ils vont dans les forêts de l’Île-de-France, où d’humbles plantes commencent à percer la terre. La fougère, enroulée sur elle-même comme un puissant ressort, est encore couverte d’une bourre cotonneuse, mais, le long des ruisseaux, l’arum est déjà près de s’épanouir. Ils cueillent les bourgeons, les feuilles qui vont s’ouvrir, et les regardent avec cette curiosité tendre et passionnée que nous ne sentons que dans la première enfance et que les vrais artistes conservent toute leur vie. » Ainsi à la jeunesse des visages correspond la jeunesse de la flore. Dans la pierre des églises elles font briller un printemps éternel.
Le Miroir de la Nature nous montre le bois voisin de la petite ville, le proche jardinet du faubourg où croissent le noisetier, le fraisier et quelques plants de vigne. On dirait qu’une main d’enfant y a cueilli la parure des autels et qu’elle l’a suspendue, toute fraîche, sous les voûtes, pour une Fête-Dieu qui n’a pas de fin. On y voit aussi les bêtes de la terre et les animaux fabuleux : mais plus encore que les merveilles des bestiaires, les sculpteurs aiment les vieux compagnons de la vie humaine, ils ne cessent de les étudier, ils en prodiguent les images, tantôt avec une verve de gais conteurs, tantôt avec une sorte de respect plein d’amitié. (…)
C’est à cette création, sortie de ses pensées, que rêve le Père éternel, la joue appuyée sur sa main, comme un bon jardinier, sa journée faite. Et l’homme aussi, tel que nous le montre le Miroir de la Science (*), se livre au travail comme à une oeuvre de rédemption, science et besogne des mains, science et besogne de l’esprit ne se séparant pas. Au soubassement des églises, le calendrier des Travaux et des Jours, sculpté dans des rectangles ou dans des quadrilobes, avertit le passant de la peine qu’il faut prendre, et les figures des Sept Arts lui promettent les délices de la connaissance. »
(*) Cf. Emile Mâle, L’art religieux du XIIIe siècle en France, livre II, Le Miroir de la Science, p. 63
Henri Focillon, Art d’Occident, le Moyen Âge roman et gothique, Librairie Armand Collin, 1963, chapitre La plastique monumentale et l’humanisme gothique