L’art gothique vu par Auguste Renoir

Après Auguste Rodin, voici l’art gothique vu par Auguste Renoir :

« Prenez une colonnade gothique dont le motif est une feuille de chou ; eh bien ! je vous défie de trouver une seule des feuilles qui soit juste en face de l’autre et tournée pareillement. De même, pour les colonnes : aucune n’est jamais tout à fait en face de l’autre, ni exactement pareille. Pas un architecte moderne, à commencer par Viollet-le-Duc, n’a compris que l’esprit du gothique, c’est l’irrégularité. Ils ont mieux aimé décider que ceux-là ne savaient pas. J’ai fait, un jour, pouffer de rire un tas d’architectes en leur disant que le Parthénon était l’irrégularité même. J’avais dit ça au hasard, mais je sentais bien qu’il ne pouvait en être autrement. J’ai vu, plus tard, que j’étais dans le vrai. Mais jamais un architecte ne voudra admettre que la régularité doit être dans l’oeil, et non dans l’exécution. Il y a, à Rome, une église neuve Saint-Paul qui est ignoble, parce que les colonnes sont faites au tour. Quand on voit des colonnes semblables au Parthénon, on est transporté de leur régularité ; mais, si l’on approche, on s’aperçoit qu’il n’y a pas deux colonnes pareilles. (…)

Je me rappelle, sur l’un des portails de la cathédrale de Reims, deux prophètes, avec un motif de feuilles au-dessus de l’un d’eux : quelle étonnante fantaisie il y a là-dedans ! Et de chaque côté de l’autre prophète, deux petites têtes ; quelle grâce délicieuse !

La richesse de ces portraits, c’est à ne pas y croire ! Cette matière lourde, rendue si légère qu’on dirait de la dentelle ! Avoir pu donner à une masse pesante tant de richesse unie à tant de légèreté… Et si vous dites à tous les Pelletan de la terre qu’avec des milliards et encore des milliards on ne peut rien faire qui approche cela de loin, ils vous répondront en choeur :

– Et le progrès ?…

Il y a, au milieu de tant de chefs-d’oeuvre de la cathédrale de Reims, trois figures, la Religion chrétienne, la Reine de Saba et le Sourire de Reims. C’est d’une beauté qui vous affole ! C’est quand on voit des choses pareilles qu’on sent pleinement la tristesse et, par-dessus tout, la sottise de la sculpture moderne ! Tenez, ces chevaux sur le Grand Palais, qui tirent chacun de son côté, des chevaux fous ! C’est là-dessus qu’on voudrait voir tomber une bombe, mais pas de danger que nous ayons cette veine ! »

 
Extrait de « En écoutant Cézanne, Degas, Renoir » par Ambroise Vollard
Les Cahiers Rouges / Grasset

L’art gothique vu par Auguste Rodin

Auguste Rodin a fait paraître son ouvrage « Les cathédrales de France » en 1914, série d’écrits foisonnants dans lesquels il nous fait partager son émotion et sa passion pour ces monuments. La cathédrale est l’église qui abrite la cathèdre, c’est-à-dire le siège de l’évêque, et il n’évoque d’ailleurs pas celle de Metz, alors sous tutelle allemande, mais nul doute que la basilique Saint-Vincent fait partie des monuments pour lesquels il aurait pu s’enflammer…

« Et puis, j’ai changé moi-même et je trouve du nouveau dans le connu, de la beauté dans des formes que jadis je ne comprenais pas. Mes transformations viennent surtout de mon travail ; ayant toujours plus assidûment étudié, je peux dire que j’ai toujours plus ardemment et plus lucidement aimé.

Jeune, j’aimais, sans doute, la dentelle gothique ; mais c’est maintenant que je comprends le rôle et que j’admire la puissance de cette dentelle. Elle gonfle les profils et les emplit de sève. Vus dans l’éloignement, ces profils sont comme de ravissantes cariatides qui modèlent la ligne droite du mur, comme des consoles qui en allègent la pesanteur.

C’est peu à peu que je suis venu à nos vieilles cathédrales, que j’ai pu pénétrer le secret de leur vie sans cesse renouvelée sous ce ciel changeant. Maintenant je peux leur dire que je leur dois mes joies les meilleures.

Roman, gothique, Renaissance ! Maintenant je sais que plusieurs longues vies ne suffiraient pas à épuiser les trésors de bonheur que nos monuments de jadis réservent au sincère amoureux de la beauté. Et je leur suis fidèle. La neige, la pluie et le soleil me retrouvent bien souvent devant eux, comme un chemineau de France. (…)

Venez, étudions ! Venez recevoir de ceux qui ne sont plus, mais qui nous ont laissé de si magnifiques témoignages de leur âme, la vraie vie !

A chaque visite, ils me font des confidences nouvelles. Ils m’ont enseigné l’art d’employer l’ombre avec laquelle il convient d’envelopper l’oeuvre, et j’ai compris la leçon qu’ils nous donnent par ces lignes gonflées qu’ils pratiquent toujours. Les cathédrales françaises sont nées de la nature française. (…)

Prétendez-vous, quand la majesté druidique des grandes cathédrales, apparues au loin, vous étonne, qu’elle résulte de causes naturelles et fortuites, par exemple de leur isolement dans la campagne ? Vous vous trompez. L’âme de l’art gothique est dans cette déclinaison voluptueuse des ombres et des lumières, qui donne le rythme à l’édifice tout entier et le contraint à vivre. Il y a là une science aujourd’hui perdue, une ardeur réfléchie, mesurée, patiente et forte, que notre siècle, avide et agité, est incapable de comprendre.  Il faut revivre dans le passé, remonter aux principes pour recouvrer la force. (…) »

 

La cathédrale d’Auguste Rodin, 1908, Musée Rodin

 

 

La Basilique Saint-Vincent de Metz