Marc Fumaroli : ce n’est pas d’art contemporain dont l’Eglise a besoin

« (…) La liturgie catholique et l’intériorité chrétienne, que voulaient réformer et purifier les apôtres de L’Art sacré, pour ne rien dire de l’élémentaire liberté d’esprit individuelle et civique, ni de la simple capacité de comprendre et de goûter les chefs d’œuvre des arts anciens, sont chloroformées par une nébuleuse d’ignorance bavarde qui occupe, prévient, obstrue et occupe la vue, l’ouïe et le jugement du plus grand nombre avec une efficacité inégalée.

P1050481

Une telle plaie d’Egypte abattue sur les âmes et les corps qui la subissent sans réagir demande, pour être combattue, une vaillance critique s’inspirant du Christ chassant les marchands du Temple. (…) Les rédacteurs de L’Art sacré n’étaient pas encore acculés à un tel défi ; ils trouvèrent des alliés attentifs dans le monde des arts de leur temps. Imiter leur démarche aujourd’hui serait une folle imprudence, tant l’art dit « contemporain », tautologie de la société de consommation contemporaine, est ivre de son propre vide comme cette société est ivre elle-même de sa propre platitude.

Ce n’est pas de cet art dont l’Eglise a besoin pour se montrer le recours impavide et sûr contre la nuée énorme de sauterelles qui dévore le feuillage intérieur des hommes comme elle dévore le feuillage de la terre qu’ils habitent. Le temple où se répète chaque jour le sacrifice rédempteur du Christ a besoin de renouer avec sa propre bibliothèque théologique, avec sa propre mémoire liturgique, avec le sens intransigeant de la grandeur et de l’amour de Dieu. Il ne doit pas craindre de se dresser à rebours de la tendance générale à l’enfer climatisé, afin de redevenir l’aimant qui attire à lui tous ceux et toutes celles qui aspirent à s’éveiller vraiment du puissant sommeil chloroformé, inventé par l’homme moderne pour éteindre en lui l’étincelle de vie éternelle. Le grand art de l’Eglise, elle ne l’emprunte pas au monde, ce sont ses propres sacrements, c’est le savoir et le goût qu’ils lui inspirent, pierres angulaires de toute vraie beauté. »

Extrait de « L’art sacré et la liturgie », par Marc Fumaroli, de l’Académie française, dans Arts sacrés no. 1, septembre-octobre 2009