« La foi apparaît comme une alternative à la régression animale qui menace si concrètement. Être homme, ce serait connaître Dieu ou, à tout le moins, le chercher. L’animal poursuit sa proie ; l’être humain court après son salut. Tout s’éclaire.
Cette découverte produit une catharsis bienvenue dans l’esprit du marcheur qui s’épuisait à penser sans y parvenir. Tout à coup, il peut abandonner le combat sans crainte. L’esprit peut bien se vider, le corps et ses besoins le submerger, le paysage a beau imposer ses figures changeantes, nous soumettre sans la moindre révolte au désagrément de la pluie ou à la morsure du grand soleil, rien de tout cela n’est grave. Car on sait désormais que dans un kilomètre, ou dans dix, une église va nous offrir l’abri de ses voûtes fraîches, le réconfort de ses pierres, la mystérieuse présence du divin. Que l’on soit croyant ou non, on laissera son esprit plonger dans cette eau pure et l’on connaîtra cette sorte particulière de baptême que constitue la manifestation de la transcendance au cœur de son être.
Ce qui jusque-là était une donnée virtuelle, à savoir que l’on se situe dans la filiation immense des pèlerins qui ont emprunté ce chemin au long des âges, devient en ces instants une évidence concrète, une certitude venue du monde autant que du corps et qui s’empare de tout l’esprit. Le pèlerin en danger de désespoir rencontre tout à coup le secours de cette multitude invisible, comme si les âmes de ceux qui sont passés là venaient le soutenir, le gonfler, lui donner courage et force. »
Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi, éditions Guérin